Beaucoup d’analystes comparent le Trumpisme à un virus contagieux qui se propage tel une Covid19. À mon avis, c’est une erreur.
Un virus peut se combattre, dans le sens militaire du terme, à l’aide du vaccin approprié. Le Nazisme par exemple est un virus qui a été combattu pendant la Seconde Guerre Mondiale. Hitler cherchait à « Make Germany Great Again » en envoyant sa soldatesque tuer dans le monde réel et non pas sur Twitter.
Le Poutinisme se présente également, du point de vue des démocraties occidentales, comme une idéologie étrangère et antinomique à la leur. Elles le combattent présentement dans une nouvelle Guerre Froide depuis plusieurs années mais, là aussi, le cadre reste à la hauteur des enjeux géopolitiques du 20ème siècle.
Le Trumpisme, par contre, est d’une autre nature. Il évolue dans son siècle, le 21ème, est s’apparente plutôt à un cancer : ce sont des cellules au sein même de l’organisme qui s’affolent et attaquent les autres cellules voisines, sans cible précise, l’objectif étant simplement d’attaquer tout ce qui est à proximité et qui ne nous ressemble pas, jusqu’à la destruction totale. Dans le cas du cancer, il n’y a point de vaccin capable de sauver l’organisme en offrant un soutien aux combattants : ceux qui sont censés protéger l’organisme de l’ennemi peuvent se transformer en ennemis.
Dans le Trumpisme, l’attaque se fait essentiellement sur un pilier devenu si implicite dans la culture occidentale que les principaux concernés n’y pensent même plus : la Méritocratie. Le débat occidental se focalise depuis un demi-siècle sur la Démocratie, prenant tout le reste pour acquis. Or, comme le disait Simone de Beauvoir : « Un acquis n’est jamais totalement acquis. »
Et, sans Méritocratie, la Démocratie tue la République
Oui, chaque vote compte, tous les votes se valent. Mais toutes les compétences ne se valent pas au même poste. Appelleriez-vous un réparateur d’ordinateur pour réparer votre voiture ? Si oui, ne vous étonnez pas ensuite si vous n’arrivez toujours pas à démarrer votre voiture.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Eh bien, nous ne faisons que vivre, de plus en plus intensément, la crise de valeurs dont nous parlons ici depuis plus de 10 ans maintenant. Des individus qui mettent de côté, de plus en plus, tout ce qui les rend humain et qui ne se transige pas sur un marché. Je suis économiste, je sais différencier les marchandises des valeurs humaines et je dis que la confusion entre les deux est de plus en plus grande.
À la base de tout ce discours anti-élite et pro-trumpiste, vous avez, par exemple, un technicien qui trouve que ce qui le différencie d’un professionnel qui serait son supérieur hiérarchique est que ce dernier est payé plus cher… Et rien d’autre. Pour ma part, j’ai toujours accepté que l’autre soit payé plus cher quand il a un poste qui demande plus de formation, plus de compétence ou une plus grande productivité. J’ai demandé à un ami pourquoi tant de gens n’acceptent plus cela. Il m’explique, qu’en fait, les gens veulent des choses simples, mais leur réalité propre est complexe. Il dit :
« C’est parce que les gens associent combien ils sont payés à ce qu’ils valent. C’est vrai aussi bien des gens riches que des gens pauvres, et cette confusion a des conséquences dramatiques. Le technicien ne vaut pas moins que le professionnel, mais il sait qu’il gagne moins que lui. En fait, les deux sont indispensables l’un à l’autre. S’ils deviennent ennemis, c’est la fin de l’espèce. »
Car toute espèce vivante survit grâce à la Collaboration
Je ne connais aucune espèce vivante en spécimen unique qui survit pendant des milliers ou des millions d’années. Il lui faut, à minima, collaborer avec son espèce de l’autre genre, pour se reproduire. De fait, je ne comprenais pas les réactions actuelles parce que je faisais l’hypothèse que nous travaillons encore dans la collaboration. Simplement pour vivre. Chacun son poste. Comme chaque abeille dans une ruche a son poste.
C’est ce qui m’a fait revoir le Netflix Special de Chris Rock, “Tamborine” où il dénonce le danger qu’il y a à dire aux jeunes “Chacun d’être vous peut devenir tout ce dont il peut rêver !”, comme on le fait actuellement en Occident. “Sky’s the limit !” dit-on. En partant de son histoire personnelle, Chris Rock explique qu’une famille ou une société doit se comporter comme dans un orchestre. Et, parfois, on n’est pas le chef d’orchestre, ni le soliste : notre rôle peut être de jouer le tambourin. Quand cela arrive, il faut savoir l’accepter et jouer du mieux qu’on peut, pour contribuer, à son échelle, à l’orchestre. Bien sûr, cela suppose que la survie et la prospérité de l’orchestre est souhaitable par tous. Autrement, il n’y aura plus d’orchestre, plus de musique… ou, dans le cas qui nous préoccupe, plus de pays. Juste un territoire avec des êtres vivants que rien ne lie les uns aux autres.
Je comprends les enjeux économiques liés à l’explosion des inégalités. Mais il ne s’agit pas de l’Allemagne, le crise financière de 2008 n’est pas la Grande Dépression et on n’est pas en 1939. Aux États-Unis en 2020, le technicien a encore beaucoup à perdre.
Je reconnais tout de même que si le technicien et le professionnel se retrouvent tous deux au chômage, c’est sûr qu’aucun des deux ne sera mieux payé que l’autre.
Toi, l’humain ami qui me lit, ce que je vais te dire maintenant tu le sais déjà. Mais il semble que nous vivons une époque où chacun de nous deux pourrait l’oublier. Alors je vais l’expliciter :
Ne pense jamais que tu vaux ton salaire. Ta paie n’est pas ton identité. Ne donne aucun prix à ta vie. Vis là pleinement, avec ce que tu as sous la main. Tu peux saisir les opportunités qui pourraient te permettre de réaliser certains de tes rêves. Mais tu ne seras jamais heureux si tu réduis ta personne à un montant dans un compte bancaire. Trop de gens ont trop souffert et sont morts pour que l’humain ne soit plus réduit à une marchandise. Si tu acceptes de te réduire à une marchandise, avec un prix négociable sur un marché, et rien d’autre, tu renieras ce qui fait de toi un humain et deviendra un algorithme vivant, jetable et remplaçable à souhait, dès la prochaine innovation technologique.
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